Les leçons

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Cet évènement succédait au colloque technique « Sécurité des digues fluviales et de navigation » qui s’était déroulé à Orléans les 25 et 26 novembre 2004, en présence de 170 participants.

Sur une thématique recentrée sur les ouvrages de protection (digues fluviales et maritimes), Digues2013 s’est déroulé du 12 au 14 juin 2013 à Aix-en-Provence et a permis de mesurer le chemin parcouru en un peu moins de 10 ans. Ce colloque a été organisé par Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture) avec le parrainage du CFBR (Comité Français des Barrages Réservoirs) et le soutien financier du MEDDE (Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Energie) et de la  Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Le colloque Digues2013 avait l’ambition d’être un colloque technique et scientifique, en traitant à la fois de thèmes portant sur la réglementation, la gestion et le confortement des digues, mais aussi de thèmes scientifiques sur la connaissance des mécanismes de rupture ou l’analyse systémique.

Le premier succès de ce colloque est d’avoir rassemblé le public visé, dans toute sa diversité. Ainsi, les 335 participants se répartissaient en :

  • gestionnaires d’ouvrages : 90 (dont 49 spécifiquement pour les digues de protection)
  • ingénieurs de bureaux d’études : 80
  • chercheurs (instituts, universités, écoles) : 70
  • services de l’État (hors gestionnaires) : 50
  • entreprises de travaux et fournisseurs de matériel : 33
  • divers (CTPBOH, CFBR, retraités, etc.) : 12

Les actes de ce colloque, édités par Hermes Science Publication/Lavoisier, comportent 90 communications écrites par 253 co-auteurs. Ces actes constituent un document de plus de 700 pages en langue française, ce qui en fait un ouvrage sans équivalent sur les digues de protection. Ces communications ont été revues par le comité scientifique qui en a ensuite effectué une sélection pour les présentations orales longues (15’) ou sous forme de poster.

Lors des neuf sessions plénières qui ont rythmé ce colloque, les participants ont pu écouter et échanger sur 48 exposés oraux et 31 présentations posters. A mentionner deux conférences invitées, l’une donnée par Patrick Peeters sur la gestion des digues en Flandre (Belgique) et l’autre par Jean-Pierre Jordan sur le troisième programme concernant les digues du Rhône en Suisse.

Sur 14 stands, des entreprises, des bureaux d’études, des centres de recherche et une association professionnelle ont pu présenter leurs activités et leur savoir-faire.

Et, en marge de ce colloque, l’inauguration de l’association France Digues a eu lieu le 11 juin en fin d’après-midi dans les locaux de la Société du Canal de Provence et une visite technique a été organisée par le Symadrem le samedi 15 juin sur les digues du Rhône aval.

Session plénière 1 : Responsabilité des gestionnaires, niveau de protection, niveau de sûreté, contrôle par l’État

Cette session a été l’occasion de faire le point sur les progrès, mais aussi les difficultés, après 5 ans de mise en oeuvre de la réglementation sur les ouvrages hydrauliques (décret 2007-1735 du 11 décembre 2007).

L’article L.562-8-1 du code de l’environnement invite à ne plus dissocier la sûreté de l’efficacité. En tant qu’ouvrages hydrauliques, les digues ne doivent pas rompre de façon dangereuse pour les populations, d’où les notions de niveaux de sûreté et de danger des ouvrages proposés par plusieurs orateurs . En tant que moyen de prévention du risque crue ou submersion (plutôt qu’inondation), les performances et les limites de ces digues doivent être connues avec précision (niveau de protection). Et les EDD (études de dangers) sont un outil essentiel pour la connaissance du niveau de performance et de sûreté du système d’endiguement (voir session 7).

Au-delà de ces principes, quelques zones d’ombre subsistent dans la réglementation, qui ne sont que partiellement éclairées par la jurisprudence qui commence à émerger. Et plusieurs orateurs ont plaidé pour que le législateur préserve une approche pragmatique permettant de s’adapter à la diversité des situations rencontrées sur le terrain.

La question de la responsabilité des acteurs et du bon niveau d’organisation pour la gestion des endiguements a été largement débattue. Il en est ressorti que les structures de gestion devraient dans l’idéal regrouper les communes et les départements (et/ou régions) de façon d’une part à faciliter le lien avec l’organisation de la sécurité des personnes et avec la politique d’urbanisme, et d’autre part à disposer de ressources suffisantes. Et la mise en place d’une compétence institutionnelle « gestion des digues » est attendue.

Enfin, même s’il y a loin de l’idée à la réalisation, l’implantation de déversoirs de sécurité et/ou le recul stratégique des digues sont des options mises en avant dans certaines situations.

Session plénière 2 : Organisation des gestionnaires de digues, surveillance, moyens humains et outils

Les « grands » gestionnaires de digues ont présenté leur organisation en routine et en situation de crues, fruit de plusieurs années d’expérience parsemées d’événements plus ou moins exceptionnels. Les moyens humains et matériels dédiés à cette organisation ont été détaillés.

La gestion de la végétation sur les digues, la surveillance et l’auscultation des ouvrages et enfin la gestion des données ont été trois autres sujets au coeur des discussions. Sur ces sujets, des outils et des techniques existent déjà ou sont en développement industriel : SIRS Digues, DIGSURE.

Sur toutes ces questions, l’association France Digues devrait désormais jouer un rôle fédérateur. En effet, elle se donne pour vocation de mutualiser certains outils (SIRS Digues en particulier), de favoriser les échanges d’information, d’initier des formations techniques. Et la question est posée de l’éventuel rayonnement international de la « pratique française » qui se met en place.

Session plénière 3 : Aléas et modes de rupture

Cette session s’est appuyée sur les résultats de plusieurs importants projets de recherche et a été particulièrement bien équilibrée entre les domaines maritimes et fluviaux. Si les sollicitations sont bien sûr différentes, les modes et mécanismes de rupture présentent de nombreux points communs. On a pu constater que la tempête Xynthia a été à l’origine d’importants programmes de R&D relatifs aux digues maritimes, comme les crues en vallée du Rhône de 1993-1994, puis 2002-2003, l’avaient été pour les digues fluviales.

Le retour d’expérience de la tempête Xynthia, le projet de recherche SAO POLO, et une revue des pratiques étrangères ont permis de dresser un état des connaissances (et des pratiques) concernant les aléas auxquels sont soumis les ouvrages maritimes et leur dimensionnement, tout cela avec la perspective du changement climatique qui amène, dans certains cas, à poser la question du repli stratégique.

Les résultats issus des projets ERINOH, Levees et Floodprobe, complétés de quelques retours d’expérience étrangers, ont permis de dresser un panorama des mécanismes de rupture des digues : érosion interne, érosion externe, fissuration, glissement, liquéfaction, exsolution.

Les mécanismes de l’érosion interne sont maintenant bien connus et une classification est désormais arrêtée en quatre catégories : suffusion, érosion de contact, érosion régressive et érosion de conduit. Des essais et méthodes permettent désormais de caractériser la susceptibilité des sols à l’érosion interne et de modéliser la rupture par brèche ; ceci est maintenant encadré par sept documents édités en 2012 et 2013 (quatre en anglais, trois en français) et les essais d’érodabilité des sols (essais HET et JET) peuvent être proposés par certains bureaux géotechniques de façon opérationnelle. Toutefois, les limites de ces modèles ont également été montrées, et il apparait nécessaire d’étudier les scénarios de couplage des différents processus d’érosion interne, jusqu’alors non envisagés.

En revanche, malgré des premiers résultats expérimentaux encourageants, il reste à réaliser un travail de recherche et développement important pour les mécanismes de l’érosion externe (surverse, affouillement, déferlement).

Quant au risque sismique, largement négligé jusqu’alors, il est à considérer dans certaines régions où le nouveau zonage a relevé le niveau d’aléa. Certes, pour les digues de protection, l’aléa séisme n’est pas concomitant de l’aléa submersion ; mais les matériaux de la fondation ou de la digue sont souvent susceptibles de liquéfaction vu leur granulométrie et leur faible compacité, notamment dans les zones côtières et estuariennes.

Sessions plénières 4 et 5 : Méthodes de reconnaissance, caractérisation des sols,  modélisation mécanique, physique et numérique

Ces sessions ont, elles aussi, été l’occasion de présenter des résultats issus des projets Levees, ERINOH et Floodprobe.

On en retiendra que l’utilisation des méthodes géophysiques est désormais encadrée par deux documents, l’un en anglais paru fin 2012 (Floodprobe) et l’autre en français à paraitre avant fin 2013 (ERINOH). Les domaines d’application, limites d’emploi et précautions d’usage de ces méthodes sont bien décrits ; l’association de plusieurs méthodes est le plus souvent recommandée. Si ce constat vaut dans le domaine des digues fluviales, des efforts de recherche sont encore nécessaires pour aboutir à des méthodologies de reconnaissance/caractérisation adaptées aux ouvrages littoraux.

Le LiDAR héliporté associé à la prise de vue haute définition est un outil désormais compétitif pour acquérir des données de base de haute précision pour la topographie et la détection de singularités sur les digues, pour autant que l’on puisse organiser une campagne couvrant plusieurs dizaines de kilomètres. Son intérêt pour la caractérisation de la végétation ligneuse présente sur les digues est souligné.

La suffusion, mécanisme qui se caractérise par l’arrachement des particules fines au sein d’un squelette plus grossier, a été largement décrite, ainsi que son corollaire, la redéposition. Ce phénomène à cinétique lente et difficilement décelable peut, dans certaines conditions, évoluer vers une rupture brutale. Des outils de caractérisation de la susceptibilité d’un sol à la suffusion ont été présentés.

 Session plénière 6 : Modélisation numérique hydraulique

Les outils de modélisation 2D et/ou 3D permettent désormais de bien modéliser la propagation d’une onde de submersion en zone urbaine, pour autant que l’on dispose d’un modèle numérique de terrain assez précis. Il en est de même pour les écoulements à travers un ouvrage, même si le besoin de validation par le modèle physique se fait parfois sentir.

La question qui reste largement ouverte est la modélisation numérique du développement d’une brèche dans une digue. Même si les développements récents qui ont été présentés, déjà intégrés ou en voie de l’être sous TELEMAC2D, sont d’incontestables progrès, la confrontation des résultats de ces modèles avec l’analyse de brèches historiques montre encore le chemin à parcourir, notamment pour correctement modéliser l’érosion de la fondation (la fosse peut être deux fois plus profonde que la digue est haute) ou reproduire des phénomènes qui s’apparentent probablement à des laves torrentielles.

Session plénière 7 : Études de dangers et diagnostic

Six des neuf communications de la session portaient sur les études de dangers, ce qui montre bien la montée en puissance de la démarche. Trois communications ont prouvé l’applicabilité des études de dangers pour les systèmes autres que les digues fluviales : endiguements de torrent, systèmes d’endiguement et de défense maritimes et remblais d’infrastructures de transport non transparents.

Plusieurs difficultés ont été soulevées :

-l’impossibilité fréquente d’englober l’ensemble du système de protection dans l’EDD, du fait de la dispersion de la maîtrise d’ouvrage : ce qui peut militer pour la réalisation à court terme d’EDD « partielles » afin de respecter les échéances réglementaires, EDD qu’il est alors nécessaire de faire réviser/compléter/étendre par la suite. Le fait de ne pas toujours disposer d’un diagnostic approfondi des ouvrages ou de leur environnement, en idéale donnée d’entrée de l’EDD, va dans le même sens ;

– les liens à nécessairement établir d’une part entre EDD et PPRI (plan de prévention des risques inondation) sous la forme d’une bande de danger fort en pied de digue, et d’autre part entre EDD et PCS (plan communal de sauvegarde) pour la gestion en crue, étant entendu que très souvent le responsable des ouvrages de protection, objets de l’EDD, n’est pas gestionnaire des risques dans la zone protégée ;

– la difficulté, mais aussi la nécessité, d’afficher pour un système d’endiguement donné le niveau de protection et le niveau de danger, en tenant compte de la sollicitation hydraulique et de l’état intrinsèque des ouvrages ;

– la communication autour de l’EDD avec des notions difficiles à faire comprendre ou assimiler par le public telles que : le niveau de protection de la digue ne correspond que rarement à l’aléa de référence du PPRI ou l’atteinte de la crête de la digue par le cours d’eau en crue ne constitue qu’un niveau de protection « apparent » (le niveau de protection réelle étant significativement inférieur).

Enfin, la délicate question du coût des EDD a été posée : une réponse détaillée a été fournie pour le cas d’endiguements fluviaux de classe A ou B (levées de Loire moyenne).

 Session plénière 8 : Solutions techniques génériques de confortement

De nombreuses techniques éprouvées ont été analysées, avec des exemples de chantiers, des études de cas et des retours d’expérience, avec des coûts d’investissement, d’entretien et d’exploitation. Ceci a été présenté sous des angles divers, par type de désordres à traiter (affouillement, instabilité au glissement,   érosion interne, érosion de surface, terriers, …), par technique (terrassement, enrochement, gabions, géogrilles, palplanches, paroi moulée, …), par type d’ouvrage (digue en remblai, perré, murs, …), ou par zone d’intervention (corps de l’ouvrage, talus, crête, …).

Des innovations ont également été présentées. Parmi celles-ci, l’emploi du sol traité à la chaux apparaît comme une technique performante et prometteuse compte tenu de la résistance mécanique accrue obtenue pour le matériau et compte tenu de la possibilité d’utiliser le matériau existant en place.

Session plénière 9 : Projets globaux, études de cas (dont déversoirs), analyse coûts-bénéfices

Avec l’appui de deux conférences « invités » qui nous ont fait profiter de remarquables expériences belges et suisses, cette session a été l’occasion de présenter de grosses opérations de remise à niveau de digues, souvent élaborées à l’échelle du grand bassin versant dans le cadre de dispositifs PAPI ou PSR. On ne parle plus seulement de  confortements d’ouvrages existants, mais aussi de renaturation de cours d’eau, de mobilisation de champs d’inondation contrôlée et de reconstruction en retrait des digues, démarches qui, par définition, imposent des approches globales et une large concertation.

Les déversoirs – de sécurité ou de mobilisation de ZEC (zones d’expansion de crues) -font leur entrée en force dans les projets fluviaux. Ils nécessitent des études techniques approfondies qu’il faut par la suite veiller à expliciter avec pédagogie au grand public, qui de prime abord les considère comme des « échancrures » dans les digues de protection. Le fait que plusieurs projets avec déversoir(s) ont passé le difficile cap de l’enquête publique montre que la concertation est payante.

L’analyse coûts-bénéfices -obligatoire pour tout projet PAPI ou PSR -évolue, sous l’impulsion du MEDDE, vers l’analyse multicritères qui permet en particulier de mieux prendre en compte les critères difficiles à « monétariser » (critères environnementaux, sociaux, …). Là aussi, on mesure les progrès accomplis dans l’évaluation économique des projets, s’agissant d’une notion encore pratiquement ignorée lors du colloque de 2004.

Visite technique sur les digues du Rhône aval

Une trentaine de participants était présente. Le SYMADREM nous a réservé un accueil remarquable et sympathique. Le mot de bienvenue a été prononcé par le Maire d’Arles et Président du SYMADREM, en personne.

La visite de cinq sites de travaux récents ou projetés a permis d’apprécier les progrès du Plan Rhône aval et la diversité des situations et partis techniques. Les difficultés de la superposition d’affectation des ouvrages ont été soulignées, ainsi que les réponses concrètes apportées dans les travaux et l’entretien ultérieur. Le staff administratif et technique du SYMADREM, au grand complet, a pu répondre à toutes les questions des participants, nous faisant partager leur grande expérience de la conduite des projets et de la gestion des digues, y compris en situation de crue.